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Le harcèlement moral peut être institutionnel pour la chambre criminelle de la Cour de cassation

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11/02/2025

Dans une décision du 21 janvier 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé que le harcèlement moral institutionnel entre dans le champ d'application de l'article 222-33-2 du Code pénal, qui vise le harcèlement moral au travail. Cette décision marque une étape importante dans la reconnaissance de la responsabilité des dirigeants pour des pratiques managériales délétères, même en l'absence de relations interpersonnelles directes avec les victimes.

Des faits lourds de conséquences humaines

L'affaire concerne un opérateur téléphonique ayant mis en œuvre deux plans de restructuration : une réduction des effectifs de 22 000 salariés et un plan de mobilité interne affectant 10 000 agents. Ces mesures ont conduit à une vague de suicides et de tentatives de suicide : 19 suicides et 12 tentatives ont été portés devant le tribunal en 2022.

Un syndicat a déposé plainte contre l'entreprise et trois de ses dirigeants pour harcèlement moral, dénonçant les conséquences humaines dramatiques de cette politique. La Cour d'appel de Paris a condamné, le 30 septembre 2022, l'ancien PDG et son numéro deux à un an de prison avec sursis et 15 000 € d'amende. Ces condamnations ont été confirmées par la Cour de cassation, rejetant les pourvois des dirigeants.

La définition du harcèlement moral institutionnel

Le harcèlement moral institutionnel est défini comme des agissements qui, par leur répétition, dégradent les conditions de travail d'une collectivité d'agents, outrepassant les limites du pouvoir de direction. Les dirigeants ont défendu l'idée qu'il s'agissait d'une simple politique d'entreprise sans intention de harceler. Toutefois, la justice a estimé que la politique mise en place constituait bien un harcèlement moral institutionnel.

L'interprétation de l'article 222-33-2 du Code pénal

L'article 222-33-2 incrimine « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail ». Les prévenus ont soutenu que cette disposition ne s'appliquait qu'à des relations interpersonnelles.

Cependant, la Cour de cassation a précisé que l'infraction ne nécessite pas que les victimes soient individuellement identifiées ou en relation directe avec l'auteur. Le terme « autrui » peut désigner un collectif de salariés. Ainsi, même sans interaction personnelle, les dirigeants peuvent être tenus pour responsables si leur politique nuit aux conditions de travail.

La volonté du législateur d'élargir la portée du harcèlement moral

La Cour s'est appuyée sur les travaux préparatoires de la loi, qui visaient à donner au harcèlement moral une portée large, incluant le harcèlement institutionnel. Un avis de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme de 2000 et un rapport du Conseil économique et social de 2001 avaient déjà identifié le harcèlement institutionnel comme une forme de harcèlement moral distincte.

La prévisibilité de la décision au regard de la CEDH

Les prévenus ont invoqué un manque de prévisibilité juridique, argument rejeté par la Cour de cassation. Selon elle, la jurisprudence française n’a jamais exclu que le harcèlement moral puisse avoir une dimension collective. La décision s'inscrit donc dans une interprétation cohérente du droit.

Un signal fort pour les entreprises

Cette décision consacre l'idée que les dirigeants peuvent être condamnés pour harcèlement moral institutionnel si leur politique de gestion dépasse les limites de leur pouvoir de direction et porte atteinte à la santé et aux droits des salariés. Elle rappelle aux entreprises l'importance de concilier performance économique et respect des conditions de travail.